"Je reviens en France pour y faire un parcours franco-français à la fois dans le public et dans le privé où j’oublie quasiment tout ce que j’ai pu apprendre en Bulgarie et où je retourne dans un environnement plus familier. Au passage, je perds même mes connaissances en anglais, car je ne le pratique plus. Dans mes divers postes, on n’a pas besoin de l’anglais. Quel dommage !
Dans la fonction publique, j’ai reçu une formation au management. À cette époque-là, le grand message était : « Dans le management, il y a la mobilisation et la motivation ». Ce qu’on appelait alors « la mobilisation » c’est ce qu’on nomme aujourd’hui le « Command and Control » c’est-à-dire qu’on attend du manager qu’il dise à l’employé ce qu’il doit faire et le chef se borne à contrôler l’exécution. Alors que « la motivation », c’est trouver des tâches ou des arguments pour que l’employé ait envie de réaliser la tâche et faire naître une flamme dans ses yeux.
Et le formateur d’ajouter : « dans la fonction publique, concentrez-vous principalement sur la mobilisation ». Dans cette culture, le travail semble être un fardeau, une punition : on est obligé de le faire et le manager est là surtout pour contrôler et pour rappeler leurs obligations aux bons fonctionnaires. Résultat, je voyais bien qu’il y avait une forte part des équipes qui avait perdu sa motivation et qui « attendait que ça se passe ». Quel contraste entre la France des fonctionnaires et ce que j’avais pu observer en Bulgarie, où j’avais été en contact avec des gens dont on voyait l’espoir dans les yeux et le désir de progresser, d’être promu et d’apprendre de nouvelles choses !
Puis je passe dans le privé, chez Pernod Ricard. Là, je découvre un univers de management très différent. Je rejoins une entreprise dans laquelle les employés sont très engagés parce que la grande majorité d’entre eux est très attachée aux produits, à la marque et à la culture de l’entreprise. Et commence pour moi une nouvelle étape de vie à l’expatriation."
« En Ukraine, n’embauche que des femmes ! »
Raphaël, vous partez ensuite en Ukraine sur un poste de DAF. Qu’apprenez-vous dans ce pays ?
"En Ukraine, je découvre un triple challenge : un challenge professionnel d’adaptation à une nouvelle fonction qui exige que j’apprenne rapidement le métier de Directeur financier ; un challenge d’adaptation à une nouvelle culture ; et un challenge linguistique puisque j’arrive en étant le seul employé de l’entreprise ne parlant pas russe. Pour relever ces trois défis, je me suis plongé dans un programme chargé dans lequel je devais être capable de tout faire à la fois. Par exemple, je faisais quatre heures de russe par jour : j’apprenais le russe pendant mon déjeuner, j’apprenais le russe le soir, et je participais à quelques réunions en russe avec traducteur.
J’ai aussi découvert un pays, une culture et une entreprise extrêmement attachants avec des personnalités très chaleureuses. La « culture de la convivialité » est le leitmotiv du groupe Pernod Ricard. Les employés le montraient bien.
Enfin, ce qui m’a frappé, ce fut de voir à quel point les employés ukrainiens étaient avides de connaissances et de compétences venant de l’Europe de l’ouest. Il y avait de leur part une demande très forte d’apprendre et de comprendre. S’ouvrant à chaque bonne pratique issue d’un autre pays, les Ukrainiens voulaient l’adapter et la mettre en œuvre. Ils disaient « Nous avons envie d’apprendre. Dites-nous quoi faire, comment le faire et nous le ferons. Nous en sommes capables ».
En termes de management, avez-vous identifié des points communs entre l’Ukraine et la Bulgarie ?
"Un point commun entre l’Ukraine et la Bulgarie concerne la place des femmes dans le monde du travail. À plusieurs reprises, les personnes que j’avais interviewées avant de partir m’avaient dit : « N’embauche que des femmes car les hommes sont là pour leur carrière, alors que les femmes, elles, sont là pour assurer que ça marche ». Autrement dit, les femmes font leur travail, et seulement après, en fonction des résultats, elles attendent de la reconnaissance, alors que les hommes sont en général plus carriéristes. Ils veulent d’abord une promotion, avant de commencer à fournir des résultats.
En Ukraine, j’ai été frappé de voir à quel point l’équipe de ma direction financière était féminine et compétente. Cela m’a permis de prendre conscience que les questions de genre sont très liées à la vision qu’on en a. Par exemple, en France, on aurait à l’époque questionné la compétence d’une femme à un poste de Directeur informatique, Directeur logistique ou Directeur de production. Mais en Bulgarie ou en Ukraine, c’est l’inverse. On sait que les femmes sont très compétentes sur ces fonctions, et de fait, elles le sont très souvent plus que les hommes.
Qu’apprenez-vous d’autre sur les styles de management ?
En Ukraine, j’ai lu un article de Harvard Business Review, « Leadership that gets results »[i], qui parlait des styles de management. Mon chef m’avait dit : « Écoute, regarde ça, c’est intéressant. Je remarque que tu as tendance à demander énormément à tes équipes. Pendant un certain temps ton style de management va marcher, mais à un moment donné les gens vont s’épuiser. Je t’invite à explorer d’autres styles de management, ça pourrait t’être utile ». En lisant cet article, je me suis aperçu que le modèle de management qui m’avait le plus influencé, c’était celui de la fonction publique tel qu’il m’avait été transmis par l’un de mes Directeurs généraux très « demandeurs » dans le sens « mobilisation ». Avec lui, cela marchait ! En effet, si on mobilise beaucoup les gens, à un moment donné cela fait sens, ça attire leur attention, et la tâche devient importante pour eux, du coup ils s’investissent et on peut rentrer dans un cercle vertueux : en demandant aux gens d’être plus investis, cet investissement permet de faire davantage, ce qui redore au passage le blason du service dans l’administration et permet aux gens de se sentir davantage fiers d’y appartenir. Finalement, avec ce style de management appliqué à une équipe de fonctionnaires, on s’en sortait par le haut.
Mais, en passant dans le privé, sans en être encore très conscient, je continuais d’utiliser ce modèle et à toujours demander plus à mes équipes. En lisant l’article de HBR, je découvre qu’il n’y a pas seulement un style de management mais qu’il en existe plusieurs. Selon l’article, tous les styles sont intéressants. Ils ont tous lieu d’être, mais pas tous au même moment. Il faut donc en maîtriser plusieurs, il faut être capable d’utiliser celui qui est le plus adapté à la situation et il faut savoir qu’il y a certains styles qui ne marchent pas à long terme. S’ils sont trop présents, ils deviennent contreproductifs. Et celui que j’utilisais majoritairement, le « pacesetting style », était l’un d’entre eux. Cet article a été un signal d’alarme : je devais manager autrement.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser aux styles de managements alternatifs, comme le coaching et le mentoring. Or, je voyais, en cette population féminine très engagée, un fort potentiel qui n’avait pas à mes yeux le développement de carrière en lien avec l’investissement et la qualité du travail réalisé. Alors, j’ai essayé de créer des mobilités. J’ai envoyé une collaborative au Kazakhstan, j’en ai envoyé en Russie. Ce faisant, j’ai découvert qu’en fait la barrière sur le potentiel n’était pas tant dans la structure de l’entreprise : le frein était sans doute en elles-mêmes. Il y avait comme un plafond culturel qui les empêchaient de voir (et même de vouloir) ce qu’elles pourraient faire d’autres. Cela a renforcé mon désir de faciliter leur développement de carrière."
[i] Harvard Business Review, Leadership That Gets Results by Daniel Goleman https://hbr.org/2000/03/leadership-that-gets-results
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